« L’artiste, c’est un poisson hors de l’eau »
Malcolm de Chazal
Une interview réalisée par Paradise-plongée sur le parcours et le travail de Dominique Antony
Extraits
Parcours, la main à la pâte
La dessin, la peinture, l’eau (fascination pour l’élément aquatique et tout ce qui s’y rapporte), les nuages, ont toujours été mes centres d’intérêt, plus que les études que j’ai assez fortement détestées. Quelques exceptions, quelques rencontres déterminantes, un prof de philo passionné de musique et d’opéra, un prof de dessin qui est devenu un ami. Je quitte ma ville natale de Strasbourg pour la ville de l’aventure, la grosse ville anonyme, Paris. Je touche un peu à l’architecture, puis j’ assume assez vite mon indépendance au point de ne pas « pousser » d’études mais de vaquer, faire des petits métiers idiots comme vendre des chewing-gum, voyager en stop en France et à l’étranger, faire de la photo, une affiche de temps à autre ou un chantier de peinture (en bâtiment !).
Et toujours ce rapport avec l’eau, dans les torrents en hiver, les rivières, les lacs et les mers, partout, nager, apnée, chasser le dîner. Voyageur, avec toujours dans la poche un appareil photo (24×36 VOIGTLÄNDER à soufflet), une boîte d’aquarelle Winston et Newton (encore l’eau) et une petite réserve de bristol, un carnet pour écrire et à l’épaule, un 4002 Uher pour enregistrer des bruits, des sons, des voix.
J’entre chez Albert Champeaux, une « petite boîte de grands » du dessin animé, y dessinent les animateurs des films de Paul Grimault et Jacques Prévert (la Bergère et le ramoneur, le Voleur de Paratonnerre, le Roi et l’Oiseau). On y fait du dessin animé, des films d’animation, du trucage, de la pub. J’y apprends, sur le tas, tous les métiers, assistant, accessoiriste, monteur (images et sons en 35 mm). Ensuite, je me tourne vers le cinéma et la télévision, j’y suis accessoiriste, ensemblier puis décorateur. Je participe à toutes sortes de films, de petits budgets, marginaux, télé-films, variétés, films d’auteurs et jusqu’à une palme d’or à Cannes (Le Tambour). Tournages, rencontres, métier de nomade. La bifurcation. Suite à un film, un client me demande de décorer son hôtel particulier. Plus d’un an de travaux : peintures murales, trompe-l’oeil, plafonds peints, des audaces de décor, d’éclairage, de moquettes sur mesure. J’alterne ensuite les chantiers de peinture murale et les films, puis, il faut choisir. La peinture prend le pas. L’aventure de la peinture murale commence. Marié, deux enfants. Nous nous installons à Gentilly.
Géographie
Je suis né à Strasbourg où j’ai passé mon enfance et subi mes études jusqu’à un bac qui m’a délivré pour toute la vie du poids et de l’exigence des institutions (sauf les contraintes non choisies auxquelles le citoyen ne peut échapper). Ensuite, je m’installe à Paris enchaînant une succession de piaules, habite successivement dans le quartier de la gare de Lyon, des Invalides, du Marais, participe à la réhabilitation d’ un petit hôtel particulier sans eau ni électricité au fin fond 19 ème, puis je m’ établi à la Goutte d’Or, Villa Poissonnière, ensuite à Montmartre au Marché Saint-Pierre et enfin saute le périphérique pour Gentilly. Puis Arcueil.
Je m’y plonge, bien sûr et il faut gagner sa vie avec. Pas d’à côtés à enseigner l’art (dont on arriverait pas à vivre à des élèves qu’on inciterait à s’y lancer)! Curiosité, recherche, apprentissage, découverte. Métier difficile mais il faut être convaincu, travailler beaucoup (il n’ y a pas d’heure, mais il y en a beaucoup) et métier aléatoire et fluctuant comme les vagues.
Je suis passé tout naturellement de la quasi miniature de petites aquarelles confidentielles à la grande échelle, aux murs peints monumentaux, à la peinture murale. Des artistes comme Giambattista Tiepolo, Corot, Chardin, Balthus, Edward Hopper, Andrew Wyeth, Salvador Dali m’ont certainement inspiré, et bien d’autres encore,mais tout autant la lecture de poètes, certaines découvertes de la science et la musique qui comme l’image ou les facettes multiples de l’eau se passe des mots, nous fascine et nous porte.
L’image me fascine dans son immédiateté, elle est l’expression sans formulation. Dimension non réductrice de l’image par rapport au langage. La peinture , c’est d’abord voir. Imaginer, peindre, prennent alors une dimension, pour ma part elle a été le choix du mural, du monumental, dû à ce passage essentiel (plus de dix ans sûrement) dans le monde du cinéma et à mon intérêt pour l’architecture et une curiosité naturelle pour les techniques, les matériaux, la sculpture, la mosaïque. Cinéma, image virtuelle murale, architecture bâtisseuse de murs, et peinture… murale, la résultante.
Mettre la main à la pâte, mélanger des couleurs, la technique, le cambouis, grimper aux échafaudages, la peinture murale est un métier physique. Les plus grandes que j’ai réalisées étaient de 1.300 m2.
Peinture murale, monde à part, monde méconnu, ignoré, qui n’entre ni dans les musées ni dans les galeries. La peinture murale n’ est pas un agrandissement d’une peinture, c’est son rapport avec le public et notamment ce changement d’échelle d’ avec une peinture de chevalet qui en fait la spécificité.
La peinture murale, par ce qu’elle dépend de la commande d’institutions, de villes, d’ entreprises, d’écoles, de parcs de stationnement, de particuliers requiert de son auteur une appréciation du contexte architectural, social, historique, une maîtrise technique du métier (le travail en grande dimension nécessite des produits spécifiques, un travail sur échafaudage ou nacelle), une connaissance de son public qu’il soit celui de la rue ou d’espaces plus restreint avec un public ciblé.
La peinture murale c’est un rapport à la ville, l’architecture et l’urbanisme. Elle peut, quand les décideurs sont imaginatifs, donner une image, offrir une image, poétique, créative. La réussite d’une oeuvre est une affaire de talent partagé, celui de l’artisan-artiste et celui du commanditaire. La peinture murale favorise ce lien social si recherché et désiré par les architectes et les politiques.
Le rapport complice et privilégié qui existe entre le public et l’artisan-artiste (nous oscillons toujours entre ces statuts) est très important dans la création des oeuvres. Le public de la peinture murale n’est pas un public choisi, élitiste, c’est le piéton ou l’ automobiliste, selon les cas, c’est tout le monde, c’est dans la rue, loin des mondanités, une peinture de plain-pied avec le spectateur. L’observateur assiste à la création, suit l’ évolution de la peinture murale en revenant sur le chantier, questionne, soutient, manifeste de façon très spontanée et libre non embarrassée de culture mais ouvert, curieux, intéressé par le spectacle, la performance que sont parfois les chantiers de peinture murale.
Le paysage, notre environnement, la nature terrestre et sous-marine constituent notre dimension d’être humain, celle où l’on respire (avec détendeur sous l’eau, sinon l’apnée), évolue, s’épanouit…L’architecture, le bâti, l’habitat sont nos cadres de vie, nos décors. Les animaux, insectes, oiseaux, poissons, humains se côtoient. Atmosphère, couleurs et sensations se relient, entrent en fusion. L’imaginaire, l’inconscient et la poésie s’en mêlent. L’observation, la fascination, le dessin, les techniques de représentation, le choix de la dimension murale participent à ce processus de la création d’image, d’où jaillira, si ce n’est la beauté, l ‘humour ou la surprise.
« L’artiste, c’est un poisson hors de l’eau » a écrit Malcolm de Chazal. La plongée et le monde aquatique et subaquatique me fascinent et me passionnent, comme les déserts et les terres sauvages. Vous trouverez ces mondes dans mes réalisations. Je suis plongeur niveau 3, initiateur et été longtemps président d’un club de plongée à Paris : Coeff.13
Je voyage à travers le monde autant que le temps et mes moyens (parfois moyens) me le permettent mais ai plongé en Australie, aux Philippines, en Mer Rouge, au Cap Vert. Tant de lieux encore à découvrir ! Le paysage sous-marin, le tumulte des vagues, l’enchantement des fonds, le passage dans le bleu d’un banc de poissons, les couleurs d’un nudibranche, le surgissement d’une murène m’émerveillent. J’observe, je m’ imprègne d’ atmosphères (si on peut le dire…) sous-marines, je note, prends des photos. Ces ambiances et les créatures observées se retrouveront dans mes peintures.
Tout ce qui touche au regard, à la perception m’ attire et me captive, les anaglyphes, les stéréogrammes, la paréidolie, les illusions d’optique, la perspective, le trompe-l’oeil et particulièrement, l’ anamorphose.
Les murs peints dans la ville, le trompe l’oeil se servent des lois de la perspective et de la perception.
Anamorphose
L’anamorphose prend une dimension spectaculaire dans la peinture murale car elle s’inscrit dans un large champ visuel. L’anamorphose a besoin d’un point de vue privilégié qui donne l’impression que l’image sort du mur. En effet l’anamorphose joue la création d’une image déformée très précisément et rigoureusement pour être vue d’un emplacement où elle semblera normale mais le mur est vu en biais, ce qui est inhabituel pour une peinture.
L’anamorphose consiste à peindre d’une façon déformée et calculée une image qui se reconstituera, vue d’un point de vue préétabli, et donnera à la peinture murale une impression de relief et donc de réalité spatiale. Démonstration et rubrique sur l’anamorphose sur le site.
Technique picturale
C’est l ‘acrylique que j’utilise le plus souvent pour les peintures en intérieur. Les peintures murales peuvent être réalisées selon les supports, les dimensions (étude à faire) directement sur le mur ou sur une toile. Dans ce cas, je peins la toile en atelier, ensuite, elle est marouflée (collée) dans le lieu. En extérieur, la réalisation des peintures se fait directement sur le support. L’utilisation de produits spécifiques et des conditions d’application précises permettent d’obtenir une garantie de vingt ans de résistance de la teinte aux UV à partir de la date d’application.
Le site www.peinturemurale.com est un outil de communication, un press-book virtuel. Consultable de partout, il favorise la relation et l’échange de courrier avec des internautes du monde entier, curieux, artistes, plongeurs, clients. Les médias parfois se font l’écho d’un « événement » dans la presse ou les télévision. Quelques publications, des chercheurs, des universitaires de partout s’intéressent à la peinture murale, à l’anamorphose. D’autres sites me citent, certains écrivent, demandent, d’autres se servent, c’est l’Internet, prodigieux réseau fantôme dont la liberté n’est pas encore trop bridée.
Regret
Le gâchis de l’énergie. Ceux qui ne puisent pas dans cette énergie créatrice des artistes qui ont besoin de tremplin, de public. Les possibilités insoupçonnées de la peinture murale, de l’anamorphose. La lenteur à mettre en place, lancer, réaliser un programme de peinture murale alors que les cartons regorgent d’esquisses de projets, d’idées qui ne demandent qu’à s’épanouir. Il existe heureusement des découvreurs et vrais curieux, amateurs, clients, journalistes, dont les instances culturelles n’ont pas réussi à façonner le goût.
La peinture murale est une création originale « sur mesure », Sur toile ou peinte sur le mur, elle est conçue pour un lieu et des spectateurs aux quels elle est destinée. La peinture murale est souvent la solution à laquelle on ne pense pas, par ce qu’elle est méconnue.