Par Ève BORSOOK
Émission samedi 7 juillet 2007 sur ARTE TV
L’aventure humaine,
Peinture murale et « buon fresco »
La vraie peinture à fresque, ou buon fresco, demande que la plupart des pigments soient des couleurs terre en suspension exclusivement dans l’eau, et qu’ils soient posés sur un enduit de chaux encore humide. On n’emploie pas de chaux pure pour la peinture à fresque, car elle se resserrerait et craquerait. Pour éviter cet inconvénient, on la mélange d’habitude à du sable, à de la pierre finement pilée (souvent du marbre) ou à une substance organique fibreuse. Au fur et à mesure que l’enduit sèche, une fine pellicule se forme. Au contact de l’air, la chaux qui compose l’enduit humide et qui est à l’état d’hydrate de calcium se transforme progressivement en carbonate de chaux. Au cours de ce processus chimique, la chaux absorbe de l’acide carbonique contenu dans l’air et se cristallise. Elle incorpore ainsi les particules de pigment, et il en résulte une surface peinte dure et résistante.
La couche superficielle de l’enduit de chaux, finement granulée, dans laquelle les couleurs sont absorbées (couche qu’on appelle intonaco ou Feinputz) est généralement séparée de la maçonnerie par une ou plusieurs couches de crépi moins fin appelé arriccio ou arricciato. C’est sur cette couche inférieure que sont souvent tracés les dessins préliminaires avant que soient posées la dernière couche d’enduit, puis la peinture. Dans la vraie fresque, on recouvre progressivement le dessin par une série de raccords d’enduit qui vont de haut en bas, pour éviter d’abîmer une partie déjà terminée. Une fois que le dessin tracé sur l’arriccio était caché, le peintre devait se fier à sa mémoire, ou bien suivre un projet à l’échelle réelle fait sur papier ou sur parchemin (le carton). Lorsqu’on se servait d’un carton, on l’appliquait sur la surface et on en reportait les contours sur l’enduit, soit en retraçant les lignes au moyen d’un style qui perçait le dessin, soit en tamponnant de la poudre colorée à travers ses lignes perforées. La présence de cette série de petits points (ou spolveri) sur des peintures murales prouve que l’artiste a eu recours à un carton. Des incisions sur la surface du mur indiquent souvent la même chose.
Succession des couches constituantes de la fresque
1 – Un mortier de chaux éteinte et de sable grossier.
2 – L‘enduit à peindre de chaux éteinte et de sable finement tamisé.
3 – La couche picturale constituée de pigments à l’eau pure appliqués au pinceau en plusieurs couches.
4 – Le calcin est le produit de la carbonatation du mortier de chaux constituant en séchant une couche de protection transparente enrobant et fixant les pigments.
La véritable fresque exige rapidité et habileté, car l’intonaco ne reste généralement frais qu’une journée. C’est pourquoi on appelle les différentes parties de la fresque des giornate, du mot italien qui désigne une journée de travail. Des joints ou raccords sont très souvent visibles, ils permettent d’observer la rapidité et la progression des séances de travail. On peut constater une grande variété qui dépend de l’adresse de chacun et de l’importance du sujet à traiter. Giotto, par exemple, dans Le Jugement dernier de Padoue, a pu peindre en une seule fois une douzaine de têtes du groupe des Élus, ou au contraire consacrer toute une séance à un seul portrait comme celui du donateur Enrico Scrovegni. La véritable peinture à fresque est souvent devenue un tour de force pour virtuoses tels Andrea del Sarto, Giorgio Vasari, Giovanni da San Giovanni et Giambattista Tiepolo. D’après une de ses lettres, Tiepolo comptait terminer un plafond de 11 m sur 6 m en moins d’un mois. Il savait que l’été et le début de l’automne étaient la saison idéale pour la peinture à fresque. Par beau temps sec, il était plus facile de prévoir comment les couleurs sécheraient, et comme elles séchaient rapidement, on pouvait travailler plus vite.
La partie non terminée d’une giornata était grattée, ou finie une fois l’enduit sec (ou secco). Les peintres se donnaient parfois un mal considérable pour prolonger la fraîcheur de l’enduit. La méthode la plus courante consistait à mouiller le mur recouvert d’enduit avec de l’eau ou de l’eau de chaux. Dans l’église de S. Francesco, à Arezzo, Piero della Francesca a même eu recours à des piles de linge mouillé qu’il appliquait sur la surface enduite pour qu’elle reste fraîche jusqu’à ce qu’il soit prêt à la peindre.
Avant 1500, les peintures murales entièrement traitées en buon fresco sont l’exception. On employait habituellement une technique mixte – en partie le fresco, en partie le secco. Cela facilitait la réalisation et, de plus, beaucoup de couleurs brillantes comme le vermillon, l’orpiment et le résinate de cuivre ne pouvaient être posées qu’après le séchage complet de l’enduit. Pour que ces couleurs adhèrent au mur, on mêlait aux pigments de la colle ou quelque autre médium agglutinant.
D’après G. Vasari, les peintures murales faites a secco étaient plus résistantes si l’on appliquait les couleurs sur une surface rugueuse, plutôt que sur une surface lisse : les pigments contenus dans le médium agglutinant ont ainsi une prise plus ferme sur l’enduit. L’historien italien U. Procacci fait remarquer que le frère Andrea Pozzo recommandait dans ce but de rendre l’intonaco granuleux. Les couleurs terre appliquées a secco étaient ordinairement mêlées à de l’eau de chaux pour essayer de donner l’illusion de la vraie technique à fresque. C’est ce qu’on appelle parfois le fresco secco.
Durant le Moyen Âge, on s’en est largement servi pour des peintures entières. Après 1300, ce procédé est d’emploi courant pour terminer un ouvrage commencé a fresco. Par exemple, dans Saint François à genoux recevant la règle des mains du pape (chapelle Bardi, Santa Croce, Florence), Giotto a d’abord exécuté la tête en buon fresco, de même que les « préparations » pour la robe et les pieds ; mais, en fait, il a probablement traité l’habit du personnage qui se trouve derrière le saint en même temps que les pieds du saint en fresco secco qui se sont écaillés par la suite. La peinture a secco s’est généralement révélée moins durable, car les pigments ont une prise beaucoup plus superficielle sur le mur. Quant aux médiums agglutinants d’origine organique (colle animale, œuf, suc végétal, caséine) dont on se sert dans la peinture a secco, ils sont exposés à l’action destructrice des moisissures et des bactéries.
Plus tard, pour leurs œuvres murales, les peintres ont eu souvent recours à la technique du mezzo-fresco ou demi-fresque. Dans ce cas, la couleur mélangée à l’eau de chaux est appliquée sur un enduit qui est en partie sec. La surface présente déjà un aspect plus dur que dans le buon fresco, mais le processus de carbonatation de l’hydrate de chaux que contient l’enduit n’étant pas complètement achevé, une certaine absorption de la couleur par le support est encore possible. C’est sans doute à cette méthode que Sodoma a eu recours pour ses peintures du cloître, à Monte Oliveto Maggiore et, selon Procacci, cette pratique est devenue courante à partir du milieu du xvie siècle.
Une technique de peinture murale d’un autre genre qui ressortit à l’usage de la fresque est le stucco lustro ou stuc brillant, technique qu’emploient aujourd’hui encore les peintres italiens dans les maisons pour représenter des cimaises et des colonnes de marbre. Quelques heures après que la peinture a été exécutée en fresco proprement dit, on passe, à l’aide d’une brosse, une solution saponifiée, puis on polit l’ensemble. Il a été prouvé qu’une variante de ce procédé était connue de Giotto lorsqu’il peignit à Padoue certains des édifices de marbre des premières scènes du cycle. Dans cet exemple, le buon fresco semble avoir été combiné avec une émulsion à base de cire à laquelle étaient mêlés les pigments terre et de l’eau. Après application sur le mur, on a passé un fer chaud, et la surface a été frottée et polie pour obtenir une qualité de brillant bien caractéristique. […]
Glossaire
Ariccio (Arriccio; Arriciato; Arricato) Couche de fond – couche de plâtre, teintée, appliquée par dessus la couche non finie (Trullisatio) et juste en dessous de la couche de finition (Intonaco, qui va être peint à son tour). Le sinopia (ou composition grandeur nature) est étendu sur l’ariccio.
Buon fresco – Fresque authentique – technique permettant de créer des peintures murales à l’aquarelle aussi bien pour les murs que pour les plafonds. Utilise de la chaux pour que la peinture puisse faire corps avec le mur et s’intégrer chimiquement à la structure du batiment.
Carton – Ébauche de travail – esquisse grandeur nature d’un dessin ou d’une peinture que l’on décalque sur la surface de travail afin de donner au peintre les grandes lignes à suivre.
Fresque – (fresco en italien) – type de peinture murale utilisé à travers le monde depuis des siècles, mais surtout connu de par sa grande popularité en Italie à l’époque de la Renaissance; d’où l’emploi de mots empruntés à l’italien pour décrire cette technique. Voir aussi Buon fresco, peinture à la chaux et secco.
Giornata – (pluriel : Giornate) – élément de forme irrégulière qui peut être enduit de plâtre et peint en une journée. Les contours suivent plus ou moins ceux de l’œuvre, de ce fait les Giornate, une fois ajustés, ne se démarquent pas trop de l’œuvre finale.
Intonaco – couche de finition – la derniére couche de plâtre mais aussi la plus lisse. C’est sur celle-ci que le peintre travaille lorsqu’elle est encore humide.
Mestiche – mélange d’eau douce et de pigments finements écrasés que l’on prépare à l’avance. Sa gamme de couleurs et sa variété de nuances permettent de réaliser une fresque entière.
Pigment – substance insoluble, organique ou non, qui lorsque moulue et en milieu de suspension (eau ou huile) permet de colorer la peinture. La peinture à fresque est généralement obtenue à partir de terres colorantes telles que les ocres ou autres minéraux qui peuvent résister à l’alcalinité de la chaux.
Plâtre – pâte à base d’eau de chaux et de sable ou de poussière de marbre appliquée et lissée sur les murs de pierre ou de brique. Forme une couche dure et brilliante en séchant.
Pontate – plans rectangulaires que l’on détermine par rapport à la surface de mur que les peintres de fresque qui travaillent sur un échafaudage ont plâtrée et peinte en une journée.
Pochoir – petit sac en toile rempli de terre à pipe, de craie, de charbon, de poudre de graphite ou ce qui s’en rapproche. En le tapotant, il permet de transférer un dessin en pointillés noirs trés précis sur une surface de finition.
Peinture au pochoir – Technique qui consiste à reproduire un dessin en perçant des trous dans l’esquisse sur lesquels on pulvérise de la poudre de pigment.
Roulette – outil de gravure à tête rotative dentelée servant à perforer.
Badigeonnage à la chaux – une variante de la fresque réalisée sur plâtre sec. Les pigments de la fresque sont mélangés avec de l’eau de chaux ou de la chaux éteinte; on peut aussi humecter le mur avec de l’eau de chaux jusqu’à ce que le plâtre se ramolisse ou étendre une pâte à base de chaux sur le mur. Bien que ce soit une technique moins astreignante, le résultat est bien moins durable et aussi plus fade qu’avec Buon fresco. Aussi appelé Fresco secco ou Mezzo-fresco.
Secco – technique consistant à appliquer des couleurs non-resistantes à la chaux par dessus une sous-couche. Donne la touche finale à une fresque en durcissant. Un mélange de couleurs dorées métallisées, ou de détrempe et de colle (comme la gomme arabique, la caséine ou la colle de peau d’animaux) est étalé sur une surface de plâtre couché et humide. (aussi utilisée pour réaliser des peintures murales sur du plâtre sec; les résultats sont moins durables et plus ternes qu’avec la technique de Buon Fresco).
Sinopia – sorte de filigrane pour la fresque, fait de pigments de terre rouge que l’on étend au pinceau sur la couche arricio et sur laquelle on applique l’intonaco avant de peindre.
Stylet – instrument pointu servant à graver des lignes sur des surfaces lisses et à décalquer les dessins.
Trullisatio – couche non-finie – première couche de plâtre que l’on applique sur les murs de brique ou de pierre, d’où son aspect ‘rugueux’. Sa surface irrégulière et grossière permet aux couches successives de bien adhérer.
Note :
Le terme Fresco secco et ses variantes sont répertoriés dans beaucoup de vieux dictionnaires de l’art mais des experts tels que Pierlucio Pellissier à Montréal ou Pierluigi Colalucci en Italie, de même qu’un bon nombre d’autorités en la matière s’accordent à dire que ce terme ainsi que le terme Mezzo-fresco sont inappropriés et qu’ils devraient être proscrits puisqu’ils se contredisent eux-mêmes.
The Art and Architecture Thesaurus (AAT), préfère le terme Secco aux termes qui ne sont pas normalisés (fresque à sec, fresco secco, fresco-secco, secco-fresco). Cela dit, le terme Mezzo-fresco est toujours en vigueur dans l’édition 1999 de l’AAT, mais tout porte à croire qu’une révision est en cours.
Nous avons utilisé la terminologie du Dictionary of Art dans notre Glossaire.
Source:
Sur le site d’ARTE
– L’aventure humaine, samedi 7 juillet 2007 à 20h45
Auteur : Ève BORSOOK
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